5 février 2012

L'audit de la dette publique est-il legitime?

Ou : deux fantasmes collectifs a la mode.

Certaines voix s’élèvent pour contester la légitimité de la dette publique, en France et dans d’autres pays. Ils souhaitent la vérifier, l’ «auditer », en constater l’origine, et envisagent de contester, au moins pour la forme, que cette dette soit entièrement à rembourser ou soit à la charge de la communauté nationale en général. Plusieurs candidats à l’élection présidentielle ont officiellement admis cette notion d’audit et accepte le principe d’une action politique inspirée de ses conclusions.
Mais ce débat lui-même, est-il légitime ? Non, et il expose certaines aberrations collectives du moment.

Position du problème

On peut comprendre qu’il soit embarrassant de rembourser une dette. Si on pouvait s’en dispenser, on le ferait. Mais si la dette est légitime, il n’y a aucune raison de droit ou de morale de ne pas la rembourser. Alors, qu’est-ce qu’une dette «légitime » ? Ce mot peut être pris dans trois sens différents.

 Celui de la conformité   aux lois.

 La dette française a été établie sur des contrats clairs et valides, conformes au droit français et européens et que personne ne conteste juridiquement. Il existe bien, dans la doctrine des relations internationales, le concept de « dette odieuse »: pour faire simple, cette notion intervient lorsque la dette a été contractée en-dehors d’un contrôle démocratique normal (dictature), ou dans des conditions telles que le caractère déraisonnable et antiéconomique de l’endettement ne pouvait échapper aux créanciers (tiers-monde). Ce concept ne s’applique ne s’applique évidemment pas à la France.

 Celui de la conformité à la raison et au bon sens.

Cette notion est en cause lorsqu’une personne, une entreprise, un pays, s’endette au-delà de toute raison et de toute capacité à rembourser, pour toutes sortes de motifs. De l’ « intérieur  »  de l’emprunteur, mais souvent après coup, l’endettement peut atteindre un niveau tel qu’il dépasse toute capacité de remboursement. Du point de vue du prêteur, ce stade de non-légitimité  n’est atteint qu’au moment où il est lui-même en mesure de savoir que l’emprunteur ne pourra pas rembourser. A ce point peut commencer la perte de légitimité de la dette. C’est l’origine par exemple de la notion de « soutien abusif » d’une banque a une entreprise en faillite : une banque qui prête à l’entreprise ce qu’elle ne pourra manifestement pas rembourser peut être condamnée à payer elle-même le passif supplémentaire créé par  la prolongation intempestive de l’activité. Rien dans le cas de notre pays-qui n’a jamais fait défaut dans l’histoire moderne, détenait la meilleure notation d’agence, a une situation politique et un système fiscal stables, est l’un des pays les plus riches du Monde-ne pouvait le classer dans la catégorie des emprunteurs déraisonnables. Si on ne prêtait pas à la France, on ne prêtait à personne.

Reste le sens de légitime comme «conforme à l’équité et à la justice ». 

L’équité est ici attaquée sous deux angles. On peut évoquer la question des intérêts : pour certains il ne serait pas juste de payer, a des banques privées ou à des investisseurs, les intérêts de la dette. Directement adaptée d’une analyse d’époque de Karl Marx, cette approche estime que les intérêts sont une rente indue fournie aux détenteurs de capitaux (Le Capital, Livre I) :

La dette publique devient un des leviers les plus puissants de l’accumulation du capital. Par un coup de baguette magique, elle dote l’argent par nature improductif du pouvoir reproducteur et le convertit ainsi en capital: A-A, sans quil ait à subir les risques inséparables de sa transformation éventuelle en marchandise: A-M-A.

Dans la conception marxiste, l’emprunt public est dès l’origine diabolisé, au motif, pour le dire avec les mots actuels, qu’il fournit une opportunité de placement sans risque et non productif a ceux qui ont de l’argent à investir permet donc d’accumuler la richesse sans cause légitime.

Deux angles d’attaque

Sur ces bases idéologiques le débat se déploie aujourd’hui sur deux volets distincts.

La remise en cause des intérêts : le recours au financement  privé des déficits publics est contesté en tant que projet visant à gonfler indument les bénéfices des banques, et on souhaite un financement de l’Etat par la Banque Centrale, ou à la rigueur au travers d’un système bancaire public.

Celle du principal : on dénonce la politique fiscale pro-capitaliste (ou « de droite ») qui consiste à modérer les impôts, ce qui toutes choses égales par ailleurs augmente le besoin de financement de l’Etat et le pousse à emprunter. Mais Marx voyait ça dans l’autre sens : les dépenses de l’Etat entrainent l’endettement qui rend l’impôt nécessaire, et cet impôt est un instrument de l’asservissement du peuple:

Comme la dette publique est assise sur le revenu public, qui doit en payer le remboursement et les intérêts, le système moderne des impôts est le corollaire obligé des emprunts et donc des dettes publiques.(…)L’influence délétère qu[e ce système ] exerce sur la situation des salariés s’est accompagnée historiquement de l’expropriation massive et forcée des paysans, des artisans, et des autres éléments de la petite classe moyenne.

Alors l’impôt, antisocial ou au contraire anticapitaliste? Visiblement, ça  dépend fortement de qui la rembourse : les débats actuels sur la réduction des déficits publics achoppent constamment sur la question de la répartition de l’effort selon les classes sociales. La polémique sur la légitimité de la dette menaçante contractée débouche encore une fois sur les débats de la répartition des revenus, et la question se dédouble. D’une part, est-il légitime de demander au peuple français, dans son ensemble, de rembourser la dette s? D’une part, la dette est-elle partiellement illégitime pour avoir profité plus à certains qu’a d’autres ?

1)      Est-il « légitime » de payer des intérêts sur la dette de l’Etat ?

Cela surprend ceux qui raisonnent spontanément de manière financièrement orthodoxe, mais cette question est posée sérieusement, et elle est quantitativement significative : de fait, les intérêts nets cumules, en euros courants, par les administrations publiques de 1949 à 2009 représentent plus de la moitié de l’encours de dette à la fin de la période.  En l’absence d’intérêts composes,  la dette serait quasiment inexistante. La tentation est grande de dire que les intérêts sont la cause de tous les problèmes.

La remise en cause de la légitimité des intérêts suppose implicitement que l’Etat pourrait se financer gratuitement ou que les intérêts qu’il verse soient collectivises, au lieu de rémunérer des apporteurs de capitaux. Dans les deux cas, cela signifie que l’Etat est finance par une entité capable de lui apporter  des financements sans se soucier de leur origine ni de leur rémunération, donc de type Banque Centrale. C’est précisément ce qui est proposé par certains qui,  constatant les contraintes posées aux finances publiques par les niveaux d’endettement atteints, y voient un moyen de les  lever.

On peut effectivement imaginer que les dépenses excédentaires de l’Etat soient systématiquement couvertes par un compte d’avance à la Banque de France ou refinancées par des titres de dette souscrites par la BDF. Les montant des dépenses de l’Etat qui excède ses recettes vont alors créditer les comptes de dépôt des agents économiques, avec comme contrepartie un gonflement des réserves des banques auprès de la BDF.
 Ce système dit de «  monétisation primaire » parait idéal, il est pourtant interdit dans tous les pays un peu sérieux ! Paradoxe ? Depuis 1971, date à laquelle les Etats-Unis ont décidé de détacher la valeur du dollar de la référence à l’or, les principales monnaies ne sont contraintes par aucune obligation directe ou indirecte de conversion en actif tangible. La monétisation primaire pourrait donc s’envisager sans aucune limite formelle. On peut donc justement  imaginer qu’un gouvernement, soucieux du bien-être des citoyens ou simplement soucieux de se maintenir, satisfasse sans limite les besoins exprimes (besoins qui  eux-mêmes auraient peu de raisons de se limiter puisque dans ce système  l’ « argent » est gratuit et toujours disponible). On voit le problème : comme tout « bien », la monnaie doit finir par perdre sa valeur (c’est-à-dire qu’il y a inflation) si on peut en obtenir gratuitement autant que nécessaire. Plus précisément, la création monétaire qui correspond, dans ce schéma, aux déficits publics, stimule l’activité jusqu’à ce qu’elle se heurte aux limites physiques de la capacité de production : la croissance économique potentielle est définie par celle de la population active et de la productivité. Survient donc un moment ou la création monétaire issue du déficit n’est plus compensée par un surcroit d’activité réelle et se traduit en inflation.

On pourrait objecter ici que cette création monétaire peut être compensée par un drainage des réserves bancaires opéré, à due concurrence, par la Banque Centrale. Ce drainage doit prendre la forme de ventes définitives d’actifs non monétaires aux banques. Mais il faut rappeler que nous étudions ici la possibilité d’un financement par la Banque centrale en tant que principe politique (écarter les intérêts prives du financement des besoins déficits) établi dans la durée (Il ne s’agit pas de discuter de l’utilisation ponctuelle de cet outil ou des relances keynésiennes, qui sont d’autres sujets). Le  drainage des réserves aboutit donc à une situation contradictoire : la monnaie régulièrement  injectée par le Trésor d’un cote, est retirée de l’autre…en cédant régulièrement aux investisseurs prives des actifs qui seront en réalité des titres de dettes, et forcement rémunérés. On voit que si  on veut parer à l’inflation systématique, on réintroduit par la fenêtre le financement prive de la dette qu’on avait justement  voulu mettre à la porte. 

Et en l’absence de ce drainage, nous avons un cas de figure dans lequel  la masse monétaire, de manière systématique, sera abondée chaque année d’un montant équivalent a 3% de PIB par exemple (montant moyen des déficits 1974/2010) en supplément de la monnaie créée par le système bancaire en réponse aux besoins de l’économie. Cela sera facilement anticipe par tous les agents économiques, résident s et non-résidents. Tous les éléments sont donc en place pour, à terme, produire une inflation croissante et déstabiliser la monnaie. Ce n’est pas un hasard si l’autodiscipline-l’ interdiction de financement direct du Trésor par la BDF-a été prévue par la loi en 1973, au moment où l’ancrage des monnaies a l’or disparaissait complètement : les possibilités illimitée de la création monétaire auraient pu sans cela causer une forte instabilité des échanges internationaux, il aurait été impossible de bâtir le Serpent Monétaire Européen nécessaire au Marche Unique, etc…Financer la dette par création monétaire supprime la dépendance au marché obligataire, mais le « méchant » de l’histoire est alors le spéculateur sur les monnaies, qui voit s’ouvrir un boulevard d’opportunités. Vouloir supprimer à la fois profits,  spéculation et  intérêts prives est chercher un Graal.

Plus que la méthode elle-même, c’est donc son utilisation de manière potentiellement abusive et systématique qui justifie son « interdiction » et ceci avec raison, car croire que les gouvernements équilibreront  les budgets par le seul effet de leur vertu est hasardeux, surtout dans un pays ou, comme dans d’autres, on a des qu’on a pu le faire (changes flottants) enregistre des déficits ininterrompus pendant des décennies. L’obligation de se financer par le système financier impose à l’action de l’Etat un filtre de crédibilité et de mesure dans ses actions.  

On voit d’ailleurs que c’est précisément au moment où les déficits deviennent inacceptables que e moyen de les faire « passer » de manière indolore est réclamé. Les motivations sont claires, des intérêts politiques et sociaux sont en jeu. Un financement par monétisation est délibérément inflationniste. Si une forte inflation survient, elle va modérer  le poids de la dette par rapport au PIB, faciliter son remboursement ainsi que la poursuite de l’endettement et des politiques de soutien de la demande. L’inflation, d’une manière générale, avantage les débiteurs-classes moyenne et populaire-qui sont endettées et/ou sont bénéficiaires des politiques de soutien, et pénalise ceux qui ont du patrimoine et   apportent des capitaux. Elle permettrait de reprendre aux retraites le pouvoir d’achat qu’ils ont accumule. Mais si l’inflation est mal contrôlée, tout le monde sera  perdant.

L’idée selon laquelle l’Etat s’est interdit de battre monnaie dans le cadre d’un « complot de classe » visant à transférer des richesses aux capitalistes-banquiers est donc inutile pour comprendre cet acte d’autodiscipline : Il visait à conserver à la monnaie, support des échanges et moyen de stockage de la richesse, un minimum de stabilité. Mais cette idée de complot est finalement très cohérente avec la logique traditionnelle de la lutte des classes, puisque basculer délibérément dans l’indiscipline tendrait à déposséder les possédants et à  décrédibiliser l’idée d’investissement prive jusqu’à l’effondrement, a la limite, de l’économie de marche, tout en organisant-en apparence-l ‘accès du plus grand nombre à la prospérité (payée en monnaie dévaluée). Des variantes peuvent essayer d’éviter la spirale inflationniste en ressortant de vieux outils d’encadrement du crédit ou même, allant au bout de la logique, en réservant au secteur public le droit de créer de la monnaie. 
Mais si on ne suit pas sur ces chemins incompatibles avec la marche normale de l’économie française dans l’économie mondiale ou simplement utopistes, on conclut qu’il est légitime et sain d’avoir à payer et à financer des intérêts sur la dette de l’Etat et que l’Audit de la dette ne trouvera rien à se mette sous  la dent ici. Cette conclusion, bien entendu, s’applique partout, y compris aux pays  en difficulté de la zone euro. Mais elle n’empêche pas que la monétisation puisse être un outil à utiliser dans le cas de profondes difficultés économiques ou de crises aigues (c’est d’ailleurs ce que fait actuellement la BCE, indirectement, lorsqu’elle ouvre aux banques des facilites monétaires qui seront utilisées pour acheter les emprunts émis par les Etats pour refinancer leurs dettes ou couvrir leurs nouveaux déficits). On peut d’ailleurs critiquer le montage de la zone euro en pointant son biais déflationniste : sa logique fondamentale est que les Etats doivent faire en sorte de disposer d’un financement préalable de leurs dépenses. Il faut cependant se rappeler que ceci est la conséquence directe d’une unification monétaire sans unification politique, cette dernière étant justement en chantier en ce moment. Et même si la critique est juste, elle ne justifie pas l’extrémisme de certaines positions. Notre conclusion n’est donc pas que l’Etat doive toujours se conformer à une autorisation de dépense donnée ex ante par le système financier, et le système euro devra bien évoluer. Elle est que le financement de ses dépenses, ex post, par des capitaux portant intérêt est non seulement légitime mais salutaire. Le financement gratuit et illimites des déficits publics par une banque centrale est un fantasme collectif.

2)      Ou est passe l’argent, le peuple doit-il vraiment tout rembourser ?
La question n’est pas toujours triviale, notamment dans le cas des « dettes odieuses » ou l’argent a profité a des intérêts prives. Mais qu’en est-il chez nous ? Le débat sur la légitimité peut emprunter emprunte trois directions : l’analyse de l’affectation globale des dépenses, celle de l’identité des créanciers de l’Etat, et la sulfureuse notion de « clientèle ».

a)      Les dépenses globales

Chacun connait en gros de quoi est fait le budget des administrations : traitements, prestations sociales pour l’essentiel, des consommations de biens et services et quelques investissements. On a vraiment le sentiment que l’argent est allé dans la poche des français. Notre étude globale sur le Modèle Social montre d’ailleurs que l’équilibre des finances publiques a été globalement sacrifie en faveur du soutien de la consommation et des situations précaires. Mais on peut aligner ici quelques chiffres simples.
Le cumul des déficits de l’Etat de 1949 à 2009 peut se comparer aux excédents/déficits des autres secteurs de l’économie :

Administrations publiques
1,370.3
(deficits)
Sociétés non financières
-680.3
Sociétés financières
434.9
Ménages et Inst. sans but lucratif
1,498.2
ISBLSM
Nation
-117.5

Sur ces 60 années la Nation présente un déficit minime. L’étranger a reçu 117 milliards qui, retranches aux 1370 de déficits publics, laissent une source de financement pour le secteur prive de 1253 milliards, au sein duquel Les sociétés sont déficitaires pour 245 milliards. Les ménages ont donc reçu 1498 (1253+245) milliards d’euros en cumule sur cette période. Si on resserre l’examen sur les relations de transfert entre les ménages et les administrations (sans compter les traitements des fonctionnaires, qui rémunèrent un travail) le solde est encore plus élevé : 2378 milliards.

Emplois
Ressources
impots payes
3132
prestations (especes)
7446
cotisations sociales
8200
prestations (nature)
6080
Transferts en capital
141
excedent
2378
subventions
43
total
13710
13710












Tous ces chiffres sont des cumuls convertis en euros de flux de toutes les époques, mais il en est de la même du chiffre de la dette dont il est question.

On constate-c ‘est loin d’être une surprise-que les déficits ont financé  les ménages. Approximativement, ceux-ci ont reçu 2378 milliards de transferts nets de l’administration. Les administrations accusent un déficit de 1370 seulement car elles reçoivent la différence des entreprises (1008). Donc les entreprises financent l’Etat qui, lui, a redistribue aux ménages 2.4 fois ce qu’il a reçu et s’est endette au passage. On a du mal à dénoncer un scandale, d’autant que les grandes masses rappelées ci-dessus décrivent une politique de redistribution dont on a vérifié, par ailleurs, l’effectivité.

b)      Les créanciers

Un autre biais pour mettre en cause la dette publique est de questionner sur ses détenteurs. Les obligations d’Etat, après leur émission, peuvent être échangées sur des marchés ouverts aux investisseurs internationaux. La part de la dette française détenue par des non-résidents est de 60% environ, dont les deux-tiers sont hors zone euro. La détention de la dette à l’étranger est logique puisque les banques centrales des pays exportateurs doivent recycler les euros obtenus. Certains se formalisent en particulier du fait qu’une part importante  de la dette détenue dans des pays à fiscalité favorable à l’investissement. Mais lorsqu’on regarde la liste des 50 plus gros détenteurs d’obligations étatiques françaises, on constate  qu’il s’agit de grosses compagnies d’assurance, de gestionnaire de fonds obligataires et de retraites, pas de hedge funds. Que des spéculateurs interviennent sur les marches de dette est une évidence, mais leur rôle est marginal et en tout état de cause ils n’ont pas créé la dette. Les spéculateurs qui en détiennent ont eu au moins le mérite de l’acheter au moment où les investisseurs de long terme s’en débarrassaient.

c)       La question des « clientèles » de l’Etat

C’est l’angle d’attaque le plus préoccupant car il révèle une conception dévoyée de la démocratie et de l’action politique. La légitimité d’une partie de la dette contractée par la France est contestée du fait que certaines mesures ayant augmenté les dépenses ou réduit les recettes auraient été prises dans le souci de bénéficier a des catégories particulières ou même à un électorat particulier. Ces accusations se  concentrent sur une période assez récente. Elles relèvent cependant d’une logique complètement inacceptable.
Bien entendu, la critique et l’opposition politique sont des droits imprescriptibles, mais remettre en cause la légitimité de l’impact budgétaire de mesures avec lesquelles on est en désaccord, mais prises dans le respect des institutions, est très dangereux. Accepter ce comportement validerait des pratiques politiques revanchardes ou le pouvoir est censé permettre un détournement de richesse au profit d’une tribu ou d’un clan, ou l’alternance est l’occasion de faire rendre gorge aux profiteurs précédents et de les remplacer par de nouveaux prébendiers (dans le cas précis de l’action sarkozyste, il faut bien reconnaitre de surcroit que les mesures incriminées sont parfaitement en accord avec les lignes du programme qui a commandé son élection. Bonnes ou mauvaises, leur légitimité au sens examiné ici est inhabituellement  inattaquable).
Ce n’est pas ainsi que les institutions fonctionnent, sinon, chaque catégorie pourrait à bon droit refuser de payer la note fiscale ou sociale de ce qu’il estime ne pas lui profiter. Les jeunes pourraient contester la part des cotisations sociales qui correspond au passage de l’âge de la retraite de 65 à 60 ans décidé en 1981. Les rentiers contesteraient d’avoir à payer pour certaines mesures sociales ou pour les 35 heures. Ceux qui travaillent pourraient vouloir défalquer de leurs contributions la part qui finance le RSA ou le chômage. Parlant de RSA, pourquoi remettre en cause le supplément de dette censé provenir de certaines mesures fiscales de la loi TEPA en oubliant que cette loi instaure le RSA, qui a un cout, etc...

On n’en sortirait pas, il est impossible de fonctionner de cette façon : la solidarité et la cohésion nationales, valeurs chères a beaucoup, consistent aussi à accepter, de bon cœur ou pas, ce qui a été régulièrement fait par les pouvoirs publics, même si on en conteste (au nom de critères dont ne pourra jamais démontrer le caractère universel) l’opportunité ou la « justice ». Quitte éventuellement a le défaire par les mêmes voies, pourquoi pas. Si la loi L a entrainé des couts X, on peut abroger ou modifier la loi L, mais le cout X est pour la collectivité nationale. On ne peut invoquer en interne le caractère « odieux » d’une dépense légalement supportée, et vouloir faire « rendre gorge »est une attitude de nervi. La possibilité d’une alternance politique suppose par essence d’assumer l’historique politique, sinon c’est une guerre civile qui ne dit pas son nom. Le découpage en tranches de la dette selon sa légitimité est un fantasme collectif.


Le questionnement sur la légitimité de la dette est donc difficilement compréhensible. Certes, la dette constatée aujourd’hui subit le poids des intérêts historiques, mais qui peut valablement dire où nous en serions si plusieurs décennies de déficits avaient été monétisés, ou si nous étions restes dans l’économie administrée de la Libération ?  Certes, on peut débattre démocratiquement de la répartition d’un éventuel effort d’austérité entre les français, mais peut-on vraiment opposer un « peuple » irresponsable a d’obscurs intérêts qui les auraient exploites, ou peut-on rétrospectivement opposer entre elles différentes catégories de français ? La rhétorique de l’audit et de la légitimité est-elle autre chose qu’une autre tentative désespérée de lever les obstacles de la gestion et  de poursuivre les politiques de soutien  à la consommation et de perfectionnement du « modèle social » malgré toutes autres considérations?

15 décembre 2011

Mais qu’est-ce qu’elle fout, la Banque Centrale? Liquidité et solvabilité des banques et des Etats.

C’est la question que se posent deux types de publics qui sont rarement dans le même camp. Aujourd’hui, aussi bien les keynésiens de tout bord, ceux qui s’inquiètent de l’austérité et de la régression sociale, que les intervenants des marches, ces gestionnaires apatrides charges de placer l’épargne mondiale, exhortent la BCE à bouger. D’un cote, on lui demande de devenir (redevenir, même, pour ceux qui ne connaissent pas le sujet ou n’ont pas lu le précèdent billet) le prêteur des Etats. De l’autre, on la presse de sortir le « bazooka »-comme l’a fait la FED américaine en 2008. La différence est que les premiers ont le souci du financement de l’Etat et de ses dépenses sociales, les seconds celui de la sauvegarde du système bancaire. Mais tous se demandent : qu’est-ce qu’elle fout ?
Examinons d’abord l’aspect lie au système bancaire. Pourquoi la Banque Centrale est-elle au chevet des banques quand ça va mal ? La raison principale est que les banques, dans leur fonction de prêteur, font de l’intermédiation de crédit, c’est-à-dire qu’elles transforment des ressources financières courtes et/ou liquides en emplois longs et/ou illiquides. Par exemple, à partir de ressources tirées du marché monétaire ou de leurs dépôts-ressources que rien n’empêche de se tarir lors d’une crise-une banque finance des particuliers pour l’achat de leur logement. D’un cote la banque s’engage pour 20 ans, de l’autre elle renouvelle sa ressource au jour le jour. En contrepartie de ce risque lie à l’asymétrie entre ressources et  emplois, les banques ont la possibilité de s’adresser à la Banque Centrale pour faire la jointure lorsque c’est nécessaire.   Cet aspect est quelquefois décrit comme un transfert de richesse indu vers les banques, à qui on prêterait de l’argent à très bas prix pour qu’elle nous le re-prête (ou à l’Etat) au prix fort. Mais là n’est donc pas la logique de cet adossement à la Banque Centrale. En outre, comme la BC contrôle les conditions du marché monétaire, le dispositif lui donne un levier de contrôle sur la liquidité des banques et sur la distribution du crédit. Actuellement, la Banque Centrale Européenne multiplie les facilites pour diminuer les difficultés de refinancement des banques, car les risques engendres par le surendettement des Etats tendent à gripper les mécanismes habituels. Mais il s’agit ici pour la BCE, insistons là-dessus, d’améliorer la liquidité des banques, pas leur solvabilité.
Quant au financement de l’Etat par la Banque Centrale, c’est un fantasme (voir précèdent billet). Cela dit, si on n’en fait pas un système et dans des circonstances d’urgence et d’exception, l’arme peut être utilisée. Mais dans quel esprit précisément ? On retrouve ici la distinction entre la liquidité et la solvabilité. Supposez que vous ayiez à rembourser un prêt pour l’achat de votre résidence. Les mensualités de ce prêt représentent 25% de votre revenu, vous les assumez sans problème. Vous êtes solvable. Mais voilà que votre banque, pour une raison quelconque, exige le remboursement immédiat de la totalité du capital. Vous ne pouvez pas le faire. Bien qu’étant solvable, vous avez un problème de liquidité. Dans ce cas, vous vous adressez a une autre banque qui va racheter le prêt : votre demande est légitime, et c’est légitime pour cette deuxième banque de le faire, puisque vous êtes solvable et que ce deuxième prêt pourra être normalement remboursé.
Supposons maintenant que vous vous soyiez déraisonnablement endetté et que les mensualités à assumer représentent 60% de votre revenu, de sorte qu’après avoir payé vos dépenses obligatoires, il ne reste pas assez pour payer la mensualité d’emprunt. Dans ce cas, le retard de remboursement de l’emprunt se cumule chaque mois. Aller chercher une deuxième banque pour refinancer le prêt ne changerait rien au fait que la mensualité est trop lourde, et il est inutile d’espérer avoir un prêt à meilleur taux puisque votre profil de risque ne s’est pas amélioré (bien au contraire). Là, vous avez un problème de solvabilité, pas de liquidité. Si un problème de liquidité peut bien se traiter par un nouveau recours à l’emprunt, un problème de solvabilité ne peut se traiter de cette manière, et si on tente de le traiter ainsi il s’aggrave. Dans notre exemple, les seules solutions sont de réduire les autres dépenses, de vendre la résidence, ou d’obtenir une augmentation.
Revenons au cas des Etats. Quand leur dette fait boule de neige, ils se retrouvent aussi devant un problème de solvabilité. Les banques étant chargées jusqu’aux yeux d’obligations d’Etat, elles ont le même problème : si les Etats ne peuvent rembourser leur dette, ces titres de créance perdront leur valeur et il en résultera un trou dans leur bilan, ce qui mettra en cause leur solvabilité et pas seulement leur liquidité. En Europe, la solvabilité des Etats et celle du système bancaire sont liées.
Donc, que fout la BCE ? Elle ne veut pas traiter le problème de la solvabilité car elle sait-comme tout le monde-que c’est sans issue (d’ailleurs il se trouve que ce n’est pas dans son mandat). Il est évident que si la BCE se déclarait prête à assurer la solvabilité des Etats, ceux-ci –ils sont pilotés par la politique, ne l’oublions pas-se déchargeraient aussitôt sur la BCE de ce souci encombrant et leur dette ne ferait qu’enfler, comme chez un ménage dispendieux à qui une banque ouvrirait un crédit illimité. En Europe, ce problème se double d’un souci d’équité et de convergence entre nations : si la BCE ouvrait les vannes au profit des nations insolvables, elle opèrerait en pratique un transfert de richesse des pays solvables vers les pays moins solvables. De plus, elle faciliterait la divergence économique entre pays déficitaires et excédentaires, qui est précisément à l’ origine des problèmes actuels. Ce serait tenter d’éteindre un incendie en y jetant de l’essence.
C’est pourquoi il faut d’abord en passer par la rhétorique de la « coordination budgétaire » des sommets européens, qui exprime poliment une ligne de réduction des déficits sous la férule allemande. La coordination ne peut se faire que dans ce sens, puisqu’il s’agit de soigner le problème de solvabilité de certains pays, pas de le créer dans d’autres. Dans le fond, mais tout le monde l’a un peu oublié, les Etats ne sont pas censés être en déficit perpétuel. Avant 1971, date de la fin de la convertibilité en or du dollar, il y avait une limite théorique à la création monétaire, et de fait les déficits étaient maitrisés. Le passage à un système de « fiat money » pur supposait que les pouvoirs politiques s’auto-imposent une discipline en matière de politique budgétaire, car aucune limite n’existait plus au pouvoir de création monétaire de l’Etat. Mais les pouvoirs politiques n’ont pratiquement jamais observé cette règle. A minima, si deficits persistants il y a, la discipline doit être respectée pour leur financement, sous peine de détruire ce bien collectif qu’est la monnaie; c’était le sens de la loi de 1973, tant décriée. La BCE attend de voir dans quelle mesure les Etats de la zone euro s’engagent, a tous les sens du terme, sur la voie de l’équilibre, après quoi elle voudra bien intervenir pour aider leur liquidité, autrement dit leur trésorerie.
Cela, c’est le schéma. En pratique, c’est un peu moins simple. Il y a une course de lenteur entre d’un côté, les Etats qui n’adoptent pas avec entrain des plans de rigueur et n’abandonnent pas de gaité de cœur des pans de souveraineté, et de l’autre la BCE et son allié objectif allemand, qui ouvrent juste ce qu’il faut, mais pas plus, les cordons de la bourse, pour empêcher le système bancaire de s’effondrer. Car c’est le véritable enjeu. Les interventions massives de la FED en 2008 visaient à pallier l’insolvabilité des banques américaines, pas celle de l’Etat. Qu’un Etat ne puisse pas payer ses fonctionnaires, c’est un problème politique, mais on peut faire avec : ça arrive en ce moment en Grèce, c’est arrivé plusieurs fois aux Etats-Unis. Mais que le système bancaire s’arrête, et tout s’arrête.  La BCE fera toujours le nécessaire pour éviter cette issue fatale, même s’il faut pour cela monétiser la dette de certains pays, a dose la plus faible possible toutefois. En pratique on pourra quelques instants fermer les yeux sur la sacro-sainte distinction entre liquidité et solvabilité. Mais dans un traité, il ne faut pas y compter.
L’Allemagne, en bloquant les interventions de la BCE, protège aussi des intérêts à plus long terme. On dit beaucoup que les allemands sont hantes par le souvenir de l’hyperinflation des années 20. Mais il y a des préoccupations plus actuelles. L‘inflation avantage ceux qui ont des dettes au détriment de ceux qui possèdent des actifs. L’Allemagne est riche en capital, peu endettée. Surtout, sa démographie est déséquilibrée : de très nombreux allemands vont partir à la retraite dans les années qui viennent et leur niveau de vie dépendra directement du niveau de l’inflation. Ce pays a un intérêt particulier à conserver un niveau d’inflation bas en Europe, et donc à préserver la valeur de la monnaie. Actuellement, malgré les signes de récession, l’inflation en zone euro est à un niveau relativement élevé. Cela ne va pas inciter à la souplesse.

29 novembre 2011

Le fantasme du financement de l’Etat par la Banque Centrale et de la « loi de 1973 ».

Les difficultés de financement des Etats européens ont déclenché une crise majeure qui pourrait, en mettant les choses au pire, menacer l’existence même de la zone euro. Les politiques d’austérité mises en place pour maitriser les dettes publiques déplaisent, et certains pensent qu’on pourrait y échapper, si au moins les Etats échappaient aux marchés pour leur financement. Dans certains milieux (très généralement de gauche ou de la droite souverainiste) on pense avoir une solution évidente : si les marches renâclent, que l’Etat demande à la Banque centrale (européenne ou nationale, c’est selon) de financer ses déficits. De loin, ça parait être une idée : la banque centrale dispose d’une capacité de financement illimitée. On invoque une loi de 1973, qui est en passe de devenir un véritable mythe : par ce texte l’Etat s’est interdit de présenter ses effets a la Banque de France, en d’autres termes de lui faire financer sa dette. Certains présentent cette loi, renforcée ensuite par les traites européens, comme un texte clé, un cadeau fait aux banques privées qui auraient ainsi obtenu le monopole de l’endettement de l’Etat (et même, pour certains particulièrement mal informés, de la création de monnaie). En outre, comme on en veut beaucoup aux banques, on trouverait charmant de priver celles-ci de la rente constituée par les intérêts payés par l’Etat
Tout cela est en réalité, au mieux un faux problème, au pire une voie dangereuse. En tout cas cela n’a rien d’une solution. Tentons d’y voir clair.
Dans notre système monétaire, deux catégories d’acteurs peuvent créer la monnaie : les banques (par la distribution du crédit) et la Banque Centrale (la BCE depuis l’euro, avant c’était la Banque de France). La Banque centrale (BC), pour simplifier, crée sa propre monnaie en émettant les billets et en recevant dans ses livres les dépôts des banques de « deuxième rang ». C’est un peu contre-intuitif, prenons donc un exemple simple.  Quand la BNP reçoit d’un particulier un dépôt en espèces de 1000 euros, elle les crédite au compte de ce client. Son bilan enfle de 1000 euros à l’actif (les billets reçus) et de 1000 euros au passif (augmentation du solde du compte du particulier a la BNP). Il y a ici création monétaire, le bilan du secteur financier gonfle. Quand la BNP remet les 1000 euros en billets a la BC, celle-ci, en contrepartie, augmente le compte de « réserve » de la BNP de 1000 euros, exactement comme la BNP l’a fait avec son client. On voit donc qu’in fine l’augmentation du solde du compte de réserve de la BNP à la BC correspond à la création monétaire intervenue.
Revenons maintenant au déficit de l’Etat. Pour rester extrêmement simple, supposons que le budget jusqu’alors équilibre tombe soudainement en déficit de 1000, du fait d’une commande passée a l’entreprise X, et regardons comment ces 1000 voyagent dans le système.
Pour l’Etat, le déficit comptable est de 1000. Quand il règle la facture, les 1000 sont vires de son compte à la Banque centrale sur le compte de X a la BNP par exemple.
Avant le Traite de Maastricht, L’Etat pouvait se retrouver à découvert, autrement dit il recevait une avance de la BC.

Etat
Actif
Passif
Deficit
+1000
+1000
Avance BC

La BNP voit son compte de réserve à la BC augmenter de 1000 (création de monnaie !) et en contrepartie crédite le compte de son client X, bénéficiaire de la dépense de l’Etat :
BNP
Actif
Passif
Augmentation reserves a BC
+1000
+1000
compte X

Quand a X, il voit son compte à la BNP abonde et sa créance sur l’Etat réglée (« monétisée »).
 Il y a eu 1000 de création monétaire, du seul fait que l’excèdent de dépense a conduit la BC à faire une avance à l’Etat, avant même qu’on se demande qui va souscrire à un emprunt d’Etat.  Mais est que la création de monnaie qui en découle s’ajoute à celle qui est faite par les banques par la distribution des crédits. En temps ordinaires, l’accumulation des déficits se traduirait donc  continument par une création monétaire supplémentaire par rapport à celle qui découle de la marche de l’économie, ce qui pourrait déclencher une sévère inflation. Evidemment, si l’Etat émet des bons souscrits par la BC, ce problème reste entier.
Avant 1973, il existait bien  à la Banque de France un compte d’avance au Trésor qui était systématiquement débiteur, mais à un niveau plafonne : il ne faut pas penser que c’était la source habituelle de financement des déficits de l’Etat (au demeurant beaucoup plus faibles qu’aujourd’hui). La loi de 1973 à arrêté cette situation et prescrit de passer par les banques pour les émissions obligataires. Mais quel était l’intérêt ? Regardons ce qui se passe dans notre exemple quand l’Etat émet une obligation de 1000 pour « couvrir » son déficit, cette obligation étant souscrite par la BNP : la BNP acheté l’obligation à l’Etat en lui transférant 1000 de son compte de réservés a la BC. L’opération efface le découvert de l’Etat a la BC, et remet le compte de réserves de la BNP au niveau initial : à l’actif de son bilan, au lieu d’avoir +1000 de réserves a la BC, elle a +1000 de bons du Trésor.
Etat
Actif
Passif
Deficit
1000
1000
Avance BC
1000
Bon du tresor
-1000
Avance BC



BNP
Actif
Passif
Augmentation reserves a BC
1000
1000
Compte X
Augmentation reserves a BC
-1000
Bon du tresor
1000

Le fait que la BNP souscrive à l’emprunt d’Etat « draine » les réserves supplémentaires créées par la dépense publique et annule la création monétaire. Le fait de passer par le système bancaire pour « financer » la dépense stérilise l’effet, sur la masse monétaire, des déficits budgétaires et supprime le risque pour la stabilité de la monnaie.
Emettre les emprunts d’Etat auprès des banques ne relève donc pas d’un complot pour les enrichir ou d’une volonté de l’Etat de s’amputer, mais de l’orthodoxie monétaire de base. En outre, si la BC était obligée de financer directement les déficits publics, elle pourrait être contrainte à souscrire les emprunts à des prix  supérieurs à leur valeur de marche et sur des volumes exagérés. En clair, il n’y aurait aucun garde-fou a une envolée des dépenses et a un gonflement sans limite de la masse monétaire qui déstabiliserait la monnaie. Ces risques sont bien sur exactement les mêmes si on imagine que la BCE, au lieu de la banque centrale nationale, souscrit les emprunts, avec en plus la question de l’égalité de traitement des différents pays qui n’ont pas tous les mêmes situations budgétaires : l’intervention de la BCE se ferait naturellement au profit des Etats les plus déséquilibrés, éventuellement les moins bien gérés, ce qui serait une incitation à repousser des reformes nécessaires.
Bien entendu, lors de périodes de difficultés exceptionnelles et pour un temps limite, une BC peut toujours se porter acquéreuse « en dernier ressort » des bon auprès des banques, de manière à piloter à la hausse la liquidité du système bancaire. C’est ce qui a été fait aux Etats-Unis au moment de la crise financière, et récemment en Europe via la BCE. Mais on a vu pourquoi ce ne pouvait être, en soi, une politique, euro ou non.
Depuis 1993, le compte du Trésor à la Banque de France ne doit jamais être débiteur. La situation ou l’Etat bénéficie d’une avance, comme ci-dessus, est interdite. Cette disposition a été prise en 1993 dans la perspective du passage à l’Euro : la politique monétaire est du ressort de la BCE et chaque banque centrale nationale doit être rigoureusement indépendante. Le cadre de l’Euro apporte deux changements majeurs pour l’Etat : tout d’abord l’idée que sa banque centrale va « suivre » ses dépenses,  même temporairement, est complètement écartée ; ensuite, il doit prévoir en temps utile les recettes pour  couvrir ses dépenses et les remboursements des emprunts échus, et suivre un plan de trésorerie. Parmi les recettes à prévoir dans ce plan figurent obligatoirement, cette fois, les emprunts à lancer auprès  du système financier. Mais dans le fond, la logique monétaire précédente demeure : s’il y a déficit, son effet inflationniste sera compense par le surcroit d’emprunt souscrit par le système bancaire. Même cause et même effets qu’avant, la gestion prévisionnelle de la trésorerie de l’Etat en plus.
Ceux qui demandent l’intervention de la banque centrale aujourd’hui le font par défiance vis-à-vis des marches et des banques « privées ». Paradoxalement ils demandent par là ce que les marches désirent le plus. Ceux-ci ont deux craintes a l’égard des obligations d’un Etat endette : la première est que l’inflation monétaire soit plus rapide que le taux d’intérêt, ce qui ferait que l’obligation serait remboursée a terme en monnaie dépréciée. Cette crainte est faible aujourd’hui compte tenu de la situation de l’économie. La deuxième est que  l’Etat soit en défaut  et ne rembourse pas. C’est un risque sérieux pour certains Etats compte tenu de leur niveau d’endettement. L’intervention massive de la BCE, qui supprimerait de l’horizon tout risque de liquidité, est tout ce qu’attendent les acteurs des marches.
Dans la situation actuelle, alors que la défiance grandit chaque jour, et avec une récession qui s'annonce-et donc pas de menace immédiate d'inflation- une intervention lourde de la BCE parait être la seule solution de court terme pour éviter des problème plus aigus. Mais si cette intervention ne s'accompagne pas de politiques de fond visant  a rééquilibrer les comptes, cette intervention ne sera pas une solution, seulement un problème supplémentaire.

28 novembre 2011

Le point sur l’économie française, le modèle social et sa soutenabilité dans le cadre de la zone Euro

Demandez le rapport complet (46 pages, 51 tableaux et graphiques) a wisetrendfollowing@gmail.com                             

Depuis trente ans on joue la défense. Ce rapport montre que la désindustrialisation, puis la mondialisation, ont incité à la construction d’un modèle social très complet destine à en compenser les effets, mais il n’est plus possible de le payer. Il est délicat d’expliquer que la crise a peut-être été déclenchée par des excès du libéralisme, mais que la seule voie de sortie pour le pays est l’offensive, pas le repli sur soi.

La France a largement mange son pain blanc. La situation est d’autant plus délicate politiquement qu’elle ne s’en rend pas bien compte. Si tout le monde est conscient des difficultés actuelles, du chômage, des déficits, de l’impact de la crise, le diagnostic populaire est plutôt que trop peu a été fait pour l’emploi, pour relancer l’économie, pour protéger les plus faibles. Le déclenchement de la récession mondiale par quelques excès patents du système financier américain a accrédité l’idée que le Monde, France incluse, s’était fourvoyé dans un libéralisme exagéré, cause de tous les problèmes. Au moins, se dit-on, le modèle social français, parfois critiqué pour sa lourdeur, a pris sa revanche en amortissant le choc. Mais voilà qu’on s’inquiète de la dette publique et qu’on parle rigueur. La croissance n’est plus ce qu’elle était, le pouvoir d’achat du salaire stagne depuis des années, le chômage reste haut, le commerce extérieur plonge, et pourtant l’Etat n’a plus de moyens. Où est donc passé l’argent ? Le débat glisse vers l’examen des inégalités et se réfère à la justice sociale. On s’indigne, on monte des tentes, on se tourne vers l’Etat pour protester contre la rigueur, le démantèlement de services publics, dénoncer des inégalités, demander plus de protection pour diverses catégories défavorisées qui s’entrecroisent : les bas revenus, les chômeurs, les travailleurs pauvres, les immigres, les clandestins, les jeunes, les personnes âgées, les malades, les dépendants et les handicapes. Plus la crise pèse, plus on souffre. Plus il y a de souffrances, plus il y a d’injustices, et bientôt c’est l’injustice qui est citée comme la cause même  de la crise.  
Si le problème en France était de renverser une politique de l’offre qui aurait échoué, une politique qui aurait favorisé les marges des entreprises et l’enrichissement de leurs propriétaires en alignant les mesures antisociales, il serait politiquement simple de renverser la vapeur et de relancer une économie qui aurait été depuis des années enserrée par la rigueur dans le bas, par la ploutocratie dans le haut. Une alternance politique à  gauche aiderait ce changement radical. Mais la situation est très compliquée, car c’est justement le contraire : depuis 30 ans, et par-delà la division partisane, la France a joué le jeu de la demande et de la protection, et dangereusement négligé de soigner l’offre de son économie. Au moment où les déficits approchent du taquet, où les prêteurs s’affolent, où on annonce une nouvelle récession, comment expliquer qu’on a déjà fait tout ce qu’on a pu pour soutenir le « système » ? Non pas le  système  capitaliste accusé de tous les maux (c’est ailleurs que celui-là s’est épanoui) mais le  système social français, qui finit bien par toucher ses limites.
 Ce rapport montre que depuis trois décennies, le consensus national a donné la priorité à la construction de ce modèle social dont on est fier, mais qui est maintenant remis en cause par l’émergence de nouveaux pays, par la monnaie unique, par le vieillissement démographique de l’Europe, par des évolutions qui étaient connues mais qu’on a ignorées pour se tourner vers la facilité de préserver à court terme la consommation et la protection des risques.
Il n’est pas utile de revenir longuement sur la période de forte croissance que la France a connu après la guerre, une période prospère où on vivait mieux de génération en génération, ou les inégalités augmentaient, mais comme tout le monde  progressait fortement en pouvoir  d’achat, c’était secondaire.  A cette époque le progrès social n’avait pas besoin d’être exigé par principe, car il découlait de la prospérité. A la fin des années 70, l’énergie plus chère, la montée naturelle des activités de services, la concurrence de nouveaux pays industriels- ont radicalement modifié le contexte. Une rupture s’est alors faite en1981- 1982, sur laquelle on n’est pas jamais revenu: alors que la croissance connaissait un ralentissement structurel, l’équilibre financier du secteur privé-entreprises et ménages-a été largement facilité par les politiques fiscales et sociales, au détriment des finances publiques. Et pourtant cet effort à longue portée de la politique économique débouche aujourd’hui sur une situation de chômage élevé,  de déficits et de frustration grandissante de la population. Or, la politique de la France d’avant crise n’a pas brimé les ménages et la consommation. Elle a préféré assurer une progression du pouvoir d’achat des ménages, alors même que la croissance moyenne ne cessait de ralentir et que le commerce extérieur se détériorait : les couts salariaux se sont alourdis par rapport  à la concurrence européenne.
Comme ses voisins européens (sauf l’Allemagne) la France a perdu beaucoup d’emplois industriels. La tertiarisation limite les possibilités de gains de productivité, donc de croissance. Les emplois créés en remplacement-et au-delà-des emplois industriels sont dans l’ensemble moins bien rémunérés, dégagent moins de gains de productivité -même en comparaison des services des années 1960/1970-diminuent la capacité de négociation des salaries et facilitent la précarité des emplois. Les  délocalisations  sont justifiées comptablement et économiquement, mais le pays compte un nombre croissant d’ex-ouvriers de l’industrie en difficulté d’emploi et de « petits » salariés des services, tandis qu’une part de la population est de plus en plus intéressée aux revenus du capital. Comme on le verra, ces évolutions ont contribué à focaliser l’attention sur la construction du modèle social, les politiques de redistribution et l’étude des inégalités.
Dans un contexte de gains de productivité faibles, de croissance ralentie et de dégradation de la performance extérieure de l’économie, le pays a acquis et maintenu un niveau de protection sociale égal aux meilleurs d’Europe. Mais au contraire des pays nordiques avec lesquels son modèle social rivalise, la France finance son excellence sur tous les fronts du social (prise en charge de pensionnés de plus en plus nombreux et mieux traités, très haut niveau de dépenses médicales, très bonne prise en charge du chômage, des précarités et exclusions) par des déficits croissants qui ont consommé les marges de manœuvre budgétaires et fiscales dont elle disposait dans les années 70. Le perfectionnement du modèle social a pris le pas sur le souci de compétitivité, mais la population ne s’en rend pas compte, compte tenu des évolutions du mode de vie et des difficultés de la vie quotidienne. La correction de trajectoire n’en est que plus difficile politiquement.
Le pouvoir d’achat et la dépense sont effectivement préservés, mais les français actifs trouvent pourtant la vie de plus en plus difficile. Les raisons tiennent à la nature des emploi proposés, au fait que la petite progression globale du pouvoir d’achat repose plus qu’avant sur l’assistance,  sur des baisses de prix mal perçues, et aussi  à l’élévation générale du niveau d’études, qui ne trouve pas sa récompense. La perception est d’autant plus négative qu’elle compare avec les périodes précédentes plus faciles, encore présentes à l’esprit directement ou par l’intermédiaire des deux générations qui précèdent. En témoignent les appels courants à l’ « ascenseur social » et les références de plus en plus fréquentes aux inégalités sociales et à la notion de justice sociale.
Le sentiment d’inégalité croissante qui semble s’être répandu de manière presque consensuelle peut être justifie par un phénomène concentré sur les très hauts revenus, et non par l’évolution d’ensemble des salaires et des niveaux de vie. Reste à savoir à partir de quelle tranche de « riches »: 5%, 1%, 0.1%, ou 0.01%...l’anomalie commence: chacun a son jugement. Du coup, le débat national mélange des préoccupations de protection légitimes, mais qui devraient être traitées de manière strictement sociale, avec des problématiques économiques structurelles.  La priorité est donnée au traitement social des difficultés causées par le manque de croissance, plutôt qu’à la croissance. Mais la redistribution en France n’est déjà pas modeste, elle prélève significativement et de manière progressive aux 60% les plus riches,  pour donner aux 20% les plus pauvres. Les prestations sociales ont eu un rôle croissant pour soutenir les plus bas revenus et diminuent aujourd’hui de moitié le nombre de personnes qui vivent sous le seuil de pauvreté relative. Au total l’état des lieux de la redistribution n’est pas si mauvais qu’il faille en faire une priorité nationale, en dehors de cas marginaux en haut de l’échelle, d’ailleurs difficiles à traiter dans le strict cadre national.
La classe moyenne, et singulièrement la tranche des actifs des 3eme et 4eme quintiles, est confrontée à ces évolutions économiques défavorables et en même temps finance une bonne partie de la redistribution. Ceux qui bénéficient de la redistribution restent eux, presque par définition,  dans le bas de l’échelle. Les jeunes ménages voient leur niveau de vie régresser par rapport à leurs ainés.  Ceux qui ne travaillent plus s’en sortent mieux que ceux qui travaillent. Il y a 9% de chômage. Et toutes ces populations voient quelques milliers de personnes augmenter fortement leurs revenus (statistiquement sinon individuellement).Tout cela fait beaucoup de mécontents et d’inquiets, alors que les déficits publics  sont profonds et que l’Etat ne semble plus avoir grand-chose en réserve. Trente années de priorité au modèle social pourraient-elles déboucher sur une impasse, dans une zone euro ou la solution de la planche à billets n’est pas disponible?
C’est le cas si on ne change pas de logique. La croissance restera au mieux confinée entre 1 et 1.5%. Aucune politique au fil de l’eau ne peut réduire la dette à un niveau acceptable. Aucune politique défensive ne fera face à la pression concurrentielle extérieure, au vieillissement de la population qui va alourdir les prestations et a l’accumulation des déficits. On a longuement perfectionné le modèle en laissant se dégrader insensiblement la position concurrentielle de la France. Il est certainement temps d’opérer la manœuvre inverse, de retrouver plus de croissance en privilégiant la compétitivité, sous peine de se retrouver sans cesse le dos au mur et de devoir réduire le modèle social sous la pression des évènements.

Demandez le rapport complet (46 pages, 51 tableaux et graphiques) a wisetrendfollowing@gmail.com  

Sommaire :
I-                    Les balances sectorielles
II-                  Le soutien à l’économie depuis 1982
III-                Désindustrialisation
IV-               Préservation de la consommation et amélioration du modèle social
V-                   Impact des évolutions de la structure de la consommation et autres aspects psychologiques
VI-               Pauvreté, richesse et inégalités sociales
VII-             Une position qui n’est pas durable
VIII-           Quelles voies pour s’en sortir ?
Tous les chiffres utilisés proviennent de publications de l’INSEE, de la BdF, d’Eurostat ou de l’OCDE. Une (*) signale les estimations faites par l’auteur.